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Le Monde
18/04/01



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Un conte noir et rose en banlieue
Jean Michel Frodon

De l'amour. Hors des schémas sociologiques, Jean-François Richet apporte le cinéma de genre à la cité.


C'est comme dans la chanson. Il y a des filles et il y a des mecs. Il y a des grosses voitures et il y a des cités pourries. Il y a des dealers, des pitbulls, des flics racistes, des films d'action et des films d'amour. Ca ne facilite pas la vie du monde en général, et d'un cinéaste ayant envie de faire son film bien à lui, en particulier, tout cet attirail de faits, de clichés, d'inexorable déjà-vu à la fois bien réel et complètement saturé.
A cet égard, la situation d'un auteur (ou d'un personnage)de cinéma est assez comparable à celle d'un jeune des banlieues, et quand Manu, interprété par le rappeur Stomy Bugsy, répond à sa copine, qu'en guise d'avenir il ne voit guère que de "se barrer ailleurs", il est clair qu'il n'y a pas d'ailleurs pour lui. Il n'y en a guère plus pour les films, maintenant que les espaces intersidéraux sont aussi fréquentés que le RER aux heures de pointe.
Reste donc, pour tout le monde, à faire au mieux avec ce qu'on a. Et ce n'est pas rien ce qu'ils ont. Maria a vingt ans, une jolie frimousse et un corps à l'avenant, un amoureux sérieux et une copine fidèle, la frime pour guide de conduite et une belle inconscience. Karim a un boulot, l'amour de Maria, le calme que lui donne sa force physique, une grosse BMW achetée à crédit. Linda a le sens des réalités, les attentions de Manu, le sentiment de pouvoir tenir les rênes de sa vie et de pouvoir aider sa copine Maria a se débrouiller dans l'existence. Manu a la pêche, un vif sentiment pour Linda, un gros copain amoureux de son pitbull, la haine des dealers. Jean-François Richet a ces quatres zigotos, et la furieuse envie de ne pas se laisser enfermer dans le ghetto des "réalisateurs des cités" sans pour autant renier ni ses origines, ni ses engagements. De l'amour sera l'histoire de cette tentative.
Autant dire qu'on ne la perçoit pas d'emblée. Le scénario et la réalisation commencent comme une série de cases illustrées, colorées en à-plat : scène de genre illustrant les divers motifs sociologiques, décrivant les protagonistes par un ou deux traits caractéristiques. Cette mise en place apparaît ensuite comme une stratégie visant à sortir du piège sociologique.

Entre onirisme et réalité.
La stylisation va permettre de recouper ensuite les pistes du cinéma de genre, comédie de moeurs, polar et film d'horreur. L'arrestation de Maria pour avoir piqué une petite culotte au supermarché, et la manière dont, du commissariat infernal à des sous-bois de conte de fées, tout se met alors à dégénérer. Tout cela est traité comme un mauvais rêve, ou plus exactement comme le conflit entre onirisme et réalisme - comme un jeu entre réalisme et imaginaire, la trame et la chaîne même des films.
Très bien servi par ses interprètes - avec un coup de chapeau particulier à Jean François Stévenin, étonnant en méchant "au-delà des limites" - Richet invente ainsi une forme proprement cinématographique, qui signe la réussite de son film. Malgré une certaine raideur dans sa mise en oeuvre, cette réussite est d'autant plus réjouissante qu'elle lève l'inquiétude apparue il y a quatre ans avec Ma 6-T va Crack-er: après la réussite initiale d'Etat des Lieux (co-signé avec Patrick Dell'Isola), ce deuxième long métrage avait laissé entrevoir le danger : que l'influence du rap, son énergie, mais aussi ses codes stylistiques adaptés à la musique et non au cinéma, ne se transforment en impasse artistique.
De l'amour est remarquablement plus ouvert, passant de la ballade au hard rock, du song Brechtien à l'opérette, et surtout en construisant les relations problématiques entre ces différentes tonalités. Grâce au détour par cette diversité, grâce à la confiance en ses personnages et en son public plutôt que l'affirmation de certitudes, Richet renoue avec le meilleur du cinéma.
Il suggère ainsi que les banlieues ont droit à d'autres traitements que le docudrame apitoyé, le pamphlet ravageur ou l'utilisation spectaculaire choc. Le droit à la fiction, le droit à devenir histoire racontée, avec laquelle on peut jouer, est une revendication démocratique dont on aurait tort de mésestimer les enjeux.

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