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Télérama
20/06/01



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Liberté-Oléron
Louis Guichard

La famille Monot part en vacances. Et Bruno Podalydès nous embarque dans sa comédie grinçante.

Quand les Monot partent en vacances d'été sur l'île d'Oléron, il y a un monceau de jouets, de serviettes, de vêtements chiffonés, de sandwichs entamés sur la plage arrière, et l'on chante Trois p'tits chats/ chapeau de paille à tue-tête dans la voiture. C'est un tableau un peu surané qui évoque davantage les années 50-60 que l'ère du TGV, de la RTT, etdes familles recomposées. Cette ambiguïté temporelle ne sera jamais tout à fait levée. Situé de nos jours, Liberté-Oléron baigne pourtant dans une lumière un peu jaunie et charmante des souvenirsd'enfance, des vieilles bandes-dessinées, de réminiscence des films de Tati.
Jacques Monot (Denis Podalydès), le "paternel" prosaïque et pète-sec, gromelle tout seul sur son coin de sable, sermonne sans relâche sesquatre fils (dont deux ados), calcule toutes les dépenses au plus juste et nourrit un rêve obsessionnel: un bateau à lui. Pendant ce temps, sa femme, Albertine (Guilaine Londez), ne songe qu'au cyprès qu'elle voudrait voir pousser sur le petit "patio" de la maisonnette de vacances. Caricature un peu épaisse des lubies petites bourgeoises à l'heure d'été ? Il suffit d'une chanson pour que le traits'affine, et qu'une pointe de tendresse imprègne la satire. Un soir, Albertine et Jacques improvisent un slow sur un titre de Bashung diffusé par la radio:" bijou, bijou, le temps ça pourrit tout"
C'est fugitif, émouvant, éloquent.Aprèscela, la tyrannie risible du quotidien peut reprendre ses droits.
C'est ainsi que le père Monot impose peu àpeu son idée fixe à sa famille. En deux ou trois séquences hilarantes chez l'armateur local, le film passe au crible toutes les paranoïas, tensions et sueurs froides qui accompagnent un gros achat, sous le couperet descrédits. La famille se retrouve en possession d'un voilier dériveur d'occasionh, rebaptisé Liberté-Oléron . Mais le vendeur n'est pas fortuitement interprété par le metteur-en-scène lui même, particulièrement savoureux dans le cynisme vulgaire: c'estd'un raffiot que les Monots écopent.Toute la suitedécoule de cette perfidie.Le bateau defectueux sera à la fois le principal foyer comique du film, et le révélateur de la défaillance paternelle.
Car l'écart ne cesse de grandir entre l'apparence de maîtrise, de contrôle que se père à l'ancienne veut donner aux siens et à la réalité, de plus en plus retorse et humiliante pour lui.
Cela vaut pour lamise à flot du voilier (oùil sefait presqueécraser ente la coque et le quai, façon cartoon ) , puis pour les préparatifs laborieux d'une traversée vers une île voisine fantasmée par M.Monot comme le clou de sa nouvelle vie de capitaine. Le despote, qui veut à toute force faire entrer sa famille dans son rêve, reste aveugle à l'objet du désir des autres: une jeune voisine en fleur pour le fils aîné, la lecture solitaire de Cyrano de Bergerac pour le cadet, l'aménagement du "patio" pour la mère. Et, quand le paysagiste (formidable Patrick Pinaud) recruté parcette dernière prodigue à toute la famille une démonstration de ses talents de marin à bord de son magnifique Lotus (à poil, qui plus est), le père Monot serre les dents et ronge son frein. La scène est cuisante pour lui etd'une délirante drôlerie.
Davantage que dans Dieu seul me voit , son précédent long-métrage, Bruno Podalydès navigue entre les registres, du burlesque classique au grinçant, du comique familial au rire jaune, de la notation affectueuse à l'humourvitriolé. Le point commun entre les deux films reste la propension du cinéaste à malmener en profondeur le personnage central incarné par son frère. Denis Podalydès, hier encore immature et lunaire version Versailles-rive gauche , semble lui hésiter un peu quant à la manière de composer un pèredefamille installé. Mais, concetés ou non, ses "sautes de jeu" de l'outrance à la rigidité alimentent l'hypothèse d'un hommemalàl'aise avec ses responsabilités ou plutôt avec l'idée erronnée qu'il s'en fait. Il faut que le masque tombe.
Il tombe dans le dernier tiers du film, récit du fameux aller-retour tant attendu entre Oléron et l'île d'Aix, la famille au complet sur le pont, tandis que le temps se couvre dangereusement. C'est un moment pathétique, sauvage, qu'on segardera de raconter et qui vire au jeu de massacre quasi surréel. Les signaux alarmants disséminés jusqu'alors dans la satire (sous forme de rêves et de cauchemards des divers membres de la famille) se concrétisent soudain par une violente éruption du non-dit et du refoulé. Evidement, M. Monot n'en sort pas grandi. Sa famille non plus.
Et après ? Toute la difficulté consiste, pour Bruno Podalydès, à assumercette poussée ravageuse, ce jet d'encre noiredans l'eau bleue, tout en concluant son film comme la comédie qu'il n'a jamais cessé d'être. Il s'en sort de manière ambigüe, en reportant brusquement sur le personnage de la mère les travers (et d'abord l'acharnement ridicule à sauver la face) jusque là imputés à son époux. Peut-être faudra t-il, un jour, consacrer un nouveau film à cette embobineuse et lui réglerson compte à son tour. On dit que, pour devenir adulte, il faut savoirtuerses parents. Symboliquement s'entend ...
Dans la galerie Podalydès, c'est déjà bien engagé. Avec Liberté-Oléron (voire Libéré -Oléron, ce qu'il reste du bateau à la fin) le père est mis K.O. Symboliquement, et joyeusement.









































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