" Où l'on commence à ne pas comprendre "…
Jubilatoire premier titre de chapitre. Profitez bien cher lecteur, profitez bien de cet instant où vous ignorez encore la résolution du mystère de la chambre jaune. Votre logique va buter contre ses quatre murs et imperceptiblement, dans la savoureuse certitude que la fin sera rationnelle et construite, vous vous laisserez glisser sur la pente douce du surnaturel, de la magie, tout ce dont vous ne voulez pas entendre parler, tentant de vous accrocher comme Rouletabille au bon bout de votre raison… et comme le jeune reporter, vous allez, sous l'hypnose de Leroux illusionniste, vous livrer à son questionnement répétitif, obsessionnel, relire ces italiques ensorcelantes comme celles " des deux moitiés de l'assassin ", de " l'ombre à travers les volets ", des " pas élégants "… où l'écrivain excelle dans l'art de nommer l'invisible, vous suivrez ces circonvolutions de la parole, cette pensée en mouvement qui ricoche et rebondit comme Rouletabille, Tintin du verbe : " le bon bout de ma raison m'a montré une chose si formidable que j'ai besoin de me retenir à lui pour ne pas tomber. " et vous tomberez amoureux… de ce parfum, de la dame en noir, d'un cheveux blond comme fragile indice de " Tout ce que nous ne voyons pas qui est immense ", cette course de Rouletabille qui est, contrairement à ce qu'il prétend, si peu fondée sur la logique et l'expérience, mais bien plutôt par son intuition -" Oui, mais est-ce combattre avec rien que de combattre avec l'idée ? ", - idée nourrie d'une aspiration profonde, une quête plus qu'une enquête, pour déboucher sur cette pénombre de rêve dont parlait Cocteau dans sa belle préface au Mystère, citant lui-même Reverdy : " Il n'y a pas d'amour il n'y a que des preuves d'amour ". Et la preuve, la voilà, quand vous refermerez doucement le livre, une phrase en vous ne cessera de s'épanouir, entêtante et enchantée : " Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ". Que l'assassin l'ait écrite est une clé secrète de cette grande histoire romantique. Et surprise, la phrase n'est pas de Leroux mais tirée, à un mot près, d'une lettre de George Sand*. Belle illustration que rien ne se crée, tout se transforme et se transmet. Il vous faudra alors reprendre le flambeau, réinventer toute cette énigme, oublier sans effort sa rigoureuse solution, vous réveiller parmi vos images à vous, policières ou amoureuses, drôles ou poétiques comme autant de souvenirs de tout ce que nous ne voyons pas, qui est immense et que nous chérissons. |