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Les Inrockuptibles
09/03/01



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La horde sauvage
Serge Kaganski

Idéologiquement sommaire, Ma 6.T va crack-er de Jean-François Richet impressionne par son énergie et sa structure, qui en font un équivalent filmique du rap.

A en juger par la rumeur cannoise et par quelques conversations entre amis, >I>Ma 6.T va crack-er, second film de Jean-François Richet, déplaît fortement. Pas assez mis en scène pour les esthètes, trop mis en scène pour les moralistes, trop manichéen pour les esprits fins, trop violent pour les âmes sensibles, trop mauvaise image de la banlieue pour les bourgeois de gauche hypocrites, trop de TF1 pour les insurrectionnels purs et durs... Tout cela n'est pas entièrement faux mais justement, il se trouve peut-être que Richet n'a pas fait ce film pour plaire aux âmes sensibles, aux élites culturelles ou aux cinéphiles esthètes, mais avant tout pour donner parole et image à sa cité, ses frères, ses pairs, tout comme les NTM font des disques pour leurs homeboys et pas pour rassurer le (ou plaire au) bourgeois. Avant d'entrer dans le vif du sujet, petite parenthèse : Ma 6.T a été produit avec peu d'argent, tourné en plusieurs fragments avec des bouts de ficelle et TF1 n'est arrivé qu'en fin de course pour les droits du film à l'étranger - fin de la parenthèse.
Ma 6.T s'ouvre sur une parodie de clip où la jolie Virginie Ledoyen mime toutes les postures de la révolution : poing tendu, drapeau rouge brandi, arme braquée... Après cet inventaire ironique de la geste révolutionnaire telle que véhiculée par les livres d'histoire, les posters et autres images pieuses, Richet nous emmène dans le présent et le réel, au milieu de ces damnés de la terre contemporains qu'il connaît bien puisqu'il en fait partie : les jeunes des cités de banlieue que le cinéma français a appris à connaitre depuis La Haine et qui sont depuis devenus un cliché médiatique. Mais Richet n'est pas Kassovitz, Les Inconnus ou Les Guignols : son avantage imparable est l'authenticité. De chaque image de Ma 6.T suintent une vérité, une intensité, une puissance brute et une valeur documentaire qui, effectivement, peuvent parfois faire peur. Le cinéaste suit parallèlement deux groupes d'amis : les uns ont 16-17 ans, les autres 23-24. Les seconds sont au chômage, les premiers sont encore au lycée mais se font peu d'illusions sur leur avenir en côtoyant l'exemple peu reluisant de leurs jeunes aînés. Richet montre bien comment le chômage et l'absence de perspective se transmettent rapidement, comment une donnée économique s'installant dans la durée mine les esprits et tue dans l'œuf tout espoir.
 
Résultat : tous, jeunes et moins jeunes ne fichent rien, à part se castagner entre bandes rivales. Richet analyse bien les causes de cette situation : le chômage, la faillite de notre système de marché, la violence aveugle et impitoyable du capitalisme combiné au nouvel ordre mondial. En même temps, il nuance en insérant quelques beaux personnages féminins (malheureusement trop brefs) ; cette présence de filles qui travaillent et qui ont la tête sur les épaules semble indiquer que la paresse et la violence sont peut-être aussi des problèmes de mecs. Pour les solutions, Richet ne fait pas dans la dentelle en préconisant une nouvelle mouture de la dictature du prolétariat : union générale entre les ouvriers et tous les jeunes de toutes les cités - union plutôt improbable quand on sait que les cités s'entretuent entre bandes rivales et qu'une partie de la classe ouvrière s'est déplacée politiquement vers le FN. Si le message de Richet est parfois aussi simpliste qu'un slogan de Joey Starr, reste que Ma 6.T a une forme et qu'elle n'est pas négligeable. Richet a croisé deux pistes esthétiques : le western et le rap. Du premier, il propose une version urbaine et contemporaine, avec importance des lieux rituels, gendarmes et voleurs, bandes opposées, duels multiples et grand final chorégraphié à la Peckinpah avec charge du bataillon de CRS remplaçant ici la légendaire cavalerie. Du rap, le cinéaste tente de proposer un équivalent filmique basé sur les mêmes figures structurelles : scansion des thèmes, importance du verbe, répétitions en boucle, plages de calme et flambées d'énergie, montage épousant les lignes musicales...
 
Au début du film, une scène tragicomique montre Arco, Malik et Mustapha dans le bureau du proviseur : celle-ci leur répète plusieurs fois de se taire alors qu'ils n'ont pas ouvert la bouche. Ma 6.T existe essentiellement pour cela : donner la parole à ceux qui en sont souvent privés, reprendre le contrôle d'une image qui a été accaparée par les grands médias. Alors, même si on ne partage pas le discours musclé de Richet, on est quand même impressionnés par son envie de cinéma, l'énergie affolante qui se dégage de son film, état des lieux d'une certaine réalité urbaine française.

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