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Télérama
07/03/01



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La Vie des morts
Gérard Pangon

LA VIE DES MORTS
Un chassé croisé entre la vie et la mort qui suffit, en 54 minutes chrono, à faire éclater le talent d'un jeune grand, Arnaud Desplechin. Sang neuf

Dans une grande maison familiale de province, des frères, des soeurs, des cousins, tous agés d'une vingtaine d'années, sont réunis avec leurs parents pour une tragédie: Patrick s'est tiré une balle dans la tête et il est à l'hopital. Entre la vie et la mort. Eux, ils attendent. Entre le passé avec lui dont ils osent à peine se souvenir et le futur sans lui qu'ils ont peur d'imaginer.L'attente dure trois jours et chacun tourne en rond, se perd dans la banalité des gestes quotidiens pour éviter de se retrouver seul face à son émotion.
la vie des morts explore un "no man's land" des sentiments, ces instants mystèrieux où dominent les non -dits, les angoisses et les refoulements. Ces moments d'instabilité et de doute où l'on se raccroche aux futilités du présent pour fuir une éternité glacée.
ce qui permet d'oublier la mort, c'est d'abord le mouvement: l'installation des chambres et le slits à faire, les repas à préparer et la vaisselle à essuyer, les jeux de carte du soir et les courses sur le pré.
Mais l'obsession, parfois, est trop forte; l'idée fixe reprend le dessus. Et tout s'arrête. L'espace d'un instant, c'est l'immobilité qui gagne. La caméra, qui suivait les mouvements en panoramiques serrés ou laissait des flux de personnages envahir l'écran, se fige sur une cuisine inoccupée, une entrée désete ou un salon vide.
LA VIE DES MORTS, c'est la lutte du foisonnement contre le néant. Les uns n'arrivent pas à lutter, comme Pascale (Marianne Denicourt, magnifique comme tous les comédiens), qui se ronge physiquement et vomit avant de perdre son sang. D'autres, pour résister, font appel à la raison, comme les pères qui veulent tout savoir de la trajectoire de la balle, analysent les radios et supputent les chances. D'autres jouent les désinvoltes, accusent l'hérédité et la fatalité. D'autres enfin se meurtrissent et se culpabilisent."Quand quelqu'un de cet âge meurt, c'est un assassinat. Il faut chercher le coupable.Il est vrai que je suis la coupable la plus proche: je suis sa mère".
Arnaud Desplechin ne s'attarde jamais sur des pleurs, ni des explications, ni de quelconques symboles. Il n'insiste jamais sur l'émotion. Sa grande force, c'est de nous dévoiler par bribes seulement, et par ricochet, le coeur de ses personnages, un peu comme Kieslowski. Avec une branche d'arbre qui tombe au moment où Patrick va quitter le tronc familial; avec un air de Mozart qui traduit une aspiration vers le sublime et l'absolu; avec un poème de Baudelaire qui reflète ce qu'on n'ose pas penser "O Mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre".
Quand on est trop blessé, trop déchiré, trop torturé, c'est la voix d'un autre qu'on emprunte pour avouer l'essentiel. La nuit, dans l'ombre d'une chambre, le point rouge d'une cigarette allumée fébrilement, l'éclat d'un oeil qui n'arrive pas à se fermer et la larme écrasée que personnee ne verra jamais, ramènent chacun à sa solitude et à son angoisse.
LA VIE DES MORTS est pourtant ,aussi -le paradoxe du titre l'indique- le film d'une renaissance. Le coma de Patrick est une entaille à même la famille qui s'acharne à la cicatriser, même si la douleur se ravive sans cesse. Frères, soeurs et cousins cherchent
à réinventer la vie."Bon. On ne va pas épiloguer. Faut s'occuper des vivants, c'est tout. Faut pas s'occuper des morts. Y' avait qu'à les aimer."
Y avait qu'à oui. Mais comment aimer aimer ?
Comment être avec et non pas à coté. Bob l'un des cousins, est evnu avec Laurence, sa petite amie.Elle n'est pas tout à fait de la famille, ni tout à fait en dehors. Elle est l'avenir, peut-être. Et les garçons lui tournent autour, se confient à elle, jouent les don juan. Comme pour dissimuler derrière le plaisir de la séduction, la douleur d'une disparition.
Réinventer la vie, c'est aussi définir son propre espace, accepter ses limites et refusent la fuite de Baudelaire " au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau".
Les héros de Desplechin recherchent les contacts, les chocs,les affrontements. Ils reviennent vers la vie en se heurtant au réel, se bousculent entre cousins, boxent pour rire avec l'oncle qui les provoque et jouent au football avec les copains. Mais le ballon importe moins que le coup de tête ou de pied, que le geste.
Desplechin s'attache aux gestes autant qu'aux visages. Aux mouvements d'humeur et aux caressses, aux demi-tours soudains et aux coups de poing sur la table. A la main qui monte le long des joues avant de s'arrêter sur le syeux, au doigt mordillé nerveusement parce que la douleur physique fait oublier le désarroi intérieur. Desplechin filme la surface pour entrevoir les secrets enfouis au fond de chacun.
LA VIE DES MORTS est un film sublime parce que Desplechin n'est jamais à l'extérieur de son histoire. Et il lui suffit d'une séquence pour y plonger. Rien de plus banal pourtant, en apparence, que les trente premières secondes de ce premier long métrage (enfin,presque long avec ses 54 minutes). Une porte s'ouvre, un garçon entre, enlève son imper, passe devant un pièce vide et va boire un verre d'eau. Le genre de séquences qu'on peut trouver partout.
Mais Desplechin affirme d'emblée ce que d'autres cherchent en vain durant toute une vie. Quelque chose qui est bien au delà d'une mise en images et plus qu'une mise en scène: un parti pris de d'auteur. Un style. Sobre et rigoureux, avec une parfaite maitrise d e l'image et du rythme, gràce à une étrange petite musique, à la lumière, aux couleurs et surtout aux cadres. Desplechin filme serré, mais sans aller jusqu'aux gros plans pour ne regarder ni le garçon ni le décor, mais être avec le garçon dans le décor.
Mieux encore: Arnaud Desplechin nous entraîne au milieu de ses personnages . Le garçon qui boit son verre d'eau est filmé dans la pénombre devant une fenêtre claire, comme nous sommes nous-mêmes dans l'ombre devant l'écran brillant. Et, durant le repas qui vient cinq minutes plus tard, Desplechin ne nous donne pas des réppliques à entendre mais des bribes de conversation à saisir au vol. Nous voilà membre de cette famille, à écouter, à attendre, à trembler, à regarder, à avoir peur, à pleurer.
Au petit matin du troisième jour, Pascale retrouve son père dans la cuisine."Patrick est mort" dit-il. Elle ouvre la bouche d'un seul coup et aspire une énorme bouffée d'air. Un souffle de vie. Quelques phrases, un regard perdu, un sourire nerveux, quelques larmes et la solitude. Le drame. Le vide. Une cuisine vide. Cinq notes de musique. Le noir. La mort a gané.
Gérard Pangon

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