Sélection officielle en compétition, Festival de Cannes 2000
Synopsis
Londres fin du XIXème siècle. Esther Kahn vit dans le East End. Ses parents sont émigrants juifs. Tous travaillent dans l'atelier de couture familial.
Esther est lente et bornée, elle n'a d'avis sur rien, elle n'a de sentiment pour personne : Esther est une pierre.
Un soir, au théâtre, Esther se "réveille" et s'anime : parce qu'elle ne regarde pas les pièces comme les autres, elle les vit.
Esther décide de devenir actrice.
Commence alors son apprentissage du théâtre et de la vie qui l'amènera un soir à ressentir d'un seul coup, sur scène, vingt ans de vie jusqu'alors étouffée.
A propos du film
"Esther Kahn" est l'adaptation d'une nouvelle d'Arthur Symons que j'ai lue il y a plus de quinze ans. Cet auteur mineur n'est aujourd'hui plus publié ni en France, ni en anglais. Mais la nouvelle a tenu bon dans ma mémoire. Et il y a quatre ans j'ai ressorti mon exemplaire annoté.
Lorsque nous avons commencé l'adaptation avec Emmanuel Bourdieu, un seul film nous a servi de boussole : "L'Enfant Sauvage".
Esther n'est pas née dans les bois; elle vit dans le East-End peu avant l'invention du cinéma. Ses parents sont émigrants et elle est anglaise.
Et pourtant, comme le film de Truffaut, ce film veut être l'histoire d'une sauvage - un petit singe, comme l'appelera sa mère - qui devient humain, non en apprenant à parler mais en apprenant le théâtre.
Esther est lente, butée, stupide, la plus terne de la famille. Esther n'a pas de coeur, pas d'émotion. Esther est une pierre.
Et pourtant elle pose une question que nous réservons d'habitude aux philosophes. Pas sûre que le monde existe, puisque parfois, je rêve. Et si nous ne faisions jamais qu'imiter la vie ? Quand la vie nous arrivera-t-elle ?
Esther a beau imiter, elle voit bien que ça ne suffit pas à faire d'elle une personne.
Une histoire très simple : au début du film, des filles ont les bras dans le souffre. L'une a les bras couverts de brûlures, l'autre, Esther, en sort indemne...
A la fin du film, notre héroïne expérimente sur scène 20 ans d'une vie jusque là étouffée. Et 20 ans d'un coup, c'est beaucoup trop ! Est-ce un bien, est-ce un mal ? J'imagine que c'est un bien, parce qu'il vaut mieux n'importe quoi que de ne rien sentir du tout.
Le titre du recueil de Symons est "Spiritual Adventures". Il définit exactement ce que nous voulions faire : filmer une aventure spirituelle comme un suspense. Alors que je m'apprêtais à tourner, les seuls films qui pouvaient encore me guider étaient ceux d'Hitchcock. La leçon de théâtre de Nathan ? Voyez le cours de physique nucléaire dans "Torn Curtain". La fille aux deux visages ? "Vertigo". Le couple sans amour, Hitchcock encore, "Marnie". Un pur suspense spirituel.
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L'histoire ne saurait se passer ni ailleurs, ni à une autre époque que dans la nouvelle de Symons. Seule l'Angleterre ne trace pas de frontière entre la culture populaire et la culture savante. Et si les salles obscures existaient, je n'aurais pas su raconter l'histoire de personnages qui leur préfèrent le théâtre.
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Profondément, je suis d'accord avec Esther. Je pense que c'est une très mauvaise chose que de sentir la vie passer à travers soi. C'est bien trop douloureux. On est bien mieux dans sa prison.
C'est parce que j'ai eu la fierté - lisant Symons - d'être l'élève de cette jeune femme que j'ai voulu faire ce film.